Une dizaine de personnes attendaient en silence dans l'une des vastes salles de réunion du siège Zurichois d'UBS.
Autour de la table, les grands pontes des divisions Marchés étrangers, Communications, Banque d'affaire ainsi que leurs assistants consultaient nerveusement qui leur montre connectée, qui leur smartphone, révisaient des notes de service sur leur portable ou encore s'entretenaient à voix basse avec des airs concernés .
Le bruit d'un hélicoptère se posant sur le toit du building interrompit les conversations et tous restèrent figés pendant les quelques minutes qui suivirent.
Les portes de la salles s'ouvrirent et le Président du Groupe UBS pénétra d'un pas rapide et autoritaire.
Tous se levèrent avec déférence, à l'exception notable d'un homme assis en bout de table qui semblait bien plus détendu que les autres participants.
il s'agissait de Taft, le responsable en chef de la sécurité informatique du groupe qui se contenta d'adresser un signe de tête poli en guise de salutation.
Le président s'assit, intimant du geste à ses subordonnés de faire de même, puis sans autre forme il apostropha la responsable du Service Communication :
- Quelle est la situation ? Qui se permet de saboter notre communication ?
- Il s'agit du groupe Oakenshield Trade Bank Monsieur, leur campagne de dénigrement insinue que nous sommes incapables de remplir nos engagements et que notre sécurité informatique est défaillante...
- La banque Oakenshield ? Ces nains qui ont quitté la Grande-Bretagne lors du Brexit alors que c'est une mine d'or d'opportunités financières ? Qu'est-ce que la banque Oakenshield y connaît en sécurité informatique ?
- C'est à dire que... comment dire, heuuu... C'est tout de même eux qui ont mis au point les systèmes de sécurité les plus usités à travers le monde et...
Le président l'interrompit d'un geste et se tournant vers le Directeur du service Banque d'Affaire il lui demanda d'un ton sec :
- Cela signifie-t-il que nous ne pouvons pas garantir la protection des avoirs de nos clients ?
L'homme ainsi interpellé se tortilla sur son siège et marmonna qu'il laissait l'un de ses brillants analystes exposer la situation.
Un jeune cadre dynamique, visiblement impressionné mais faisant toutefois bonne contenance se leva alors et après s'être éclairci la gorge et avoir rehaussé ses petites lunettes cerclées d'acier se lança dans une longue tirade:
- Monsieur le Président, j'ai procédé à l'analyse des données et suis en mesure de faire un rapport de risque circonstancié. Pour ce faire je procéderai en trois étapes. Tout d'abord il me faut aborder les aspects liés aux législations nationales et internationales en matière de sécurité bancaire, de ratio d'endettement par rapport aux fonds propres et dans le cas particulier de la difficulté contextuelle, il convient d'avoir à l'esprit la simultanéité des problématiques s'offrant à nous, à court terme ainsi que...
- STOP l'interrompit le Président, je vous ai posé une question simple, répondez simplement ! Risquons-nous oui ou non de perdre des avoirs ?
L'homme ainsi malmené réajusta ses lunettes, consulta nerveusement ses notes éparses devant lui mais n'eut pas le temps de reprendre car de l'autre bout de la salle s'éleva la voie calme et posée de Taft : Oui Monsieur le Président, le risque est réel et nous pouvons perdre des agences.
Tous les yeux se tournèrent vers Taft qui demeura toutefois imperturbable. Voyant que le Président le fixait avec attention, semblant attendre qu'il poursuive, il reprit :
- Notre système de défense est conçu pour résister aux attaques les plus puissantes. Nous avons l'entraînement, la technologie et l'expérience pour cela, mais nous sommes limités par le nombre d'équipes que nous pouvons déployer simultanément.
Mes hackers doivent défendre trente-sept pays mais je ne puis déployer que quatorze équipes dans quatorze pays ou sept doubles équipes dans sept pays en fonction de la menace.
Cela signifie donc qu'à tout moment il n'y a qu'entre sept et quatorze des pays où nous sommes actifs qui sont protégés efficacement.
Des attaques simultanées sur plus de quatorze pays auraient donc de grandes chances d'aboutir. Mais c'est une menace assez théorique car elle nécessiterait une très grande et habile concertation entre plusieurs attaquants.
L'autre danger, plus sérieux celui-là, vient de nos systèmes de reconnaissances et d'identifications des menaces.
Il s'agit de procédures très complexes qui nous permettent d'adapter les défenses et de les déployer là où elles sont nécessaires.
Mais ce système d'alerte nécessite des maintenances et mises à jour quotidiennes et est aléatoirement mais régulièrement mis hors service.
Si une attaque est lancée sur un pays non protégé durant l'une de ces phases de maintenance et qu'elle aboutit avant la réactivation du système d'alerte, elle provoquera inévitablement la perte d'une ou plusieurs agences.
Nous en sommes toutefois conscients et nous adaptons en permanence nos stratégies de contrôle et de surveillance.
En conclusions je dirais qu'il est impossible d'affirmer que notre système de défense est à 100 % infaillible...
Il s'interrompit un instant puis poursuivit d'un ton ferme :
Mais je puis en revanche vous garantir que celui qui s'attaquera à UBS prendra de son côté des risques considérables...
Suite à ses paroles le silence se fit dans la salle, tout le monde, le Président y compris, semblant digérer l'information fournie par le hacker.
Le Président reprit la parole:
- Nous pouvons perdre des agences, soit... Mais nous sommes capables de les récupérer n'est-ce pas ?
- Oui Monsieur...-Taft sourit- C'est même là notre spécialité !
D'un petit signe de tête le Président acquiesça puis se leva et se dirigea vers la sortie tout en donnant ses instructions :
- Adaptez la com sur nos produits, lancez une campagne contre Oakenshield et si quiconque s'attaque à nos avoirs ou à ceux de nos clients, je veux que ça saigne...
Prêt à sortir, il s'immobilisa dans l'embrasure de la porte et planta ses yeux bleus aux reflets d'acier dans ceux du hacker qui sembla se tasser dans son fauteuil, comme s'il s'apprêtait à encaisser le coup qui allait suivre :
- Littéralement Taft, vous savez ce que je veux dire...